Les projets de recherche ont leur propre cycle de vie. Il existe une période de “gestation” pendant laquelle les chercheurs définissent le projet, ses objectifs et les méthodes et moyens tant humains que financiers à mettre en œuvre pour les réaliser. Il s’agit ensuite de présenter le projet à des agences de moyens pour le financer. Si le projet est accepté, il peut enfin démarrer. Il aura fallu plus d’un an pour le lancement du projet. C’est sa naissance. A partir de ce moment-là, le temps est compté. Les chercheurs ont une durée limitée pour atteindre leurs objectifs. Nous allons vous présenter le cycle de vie du projet DinLang : de son montage à sa réalisation jusqu’à la valorisation de ses recherches.
Avant de commencer la recherche à proprement parler, les 4 partenaires ont pensé et rédigé le projet afin de le soumettre à l’ANR. Ils ont développé un projet commun alliant leurs disciplines respectives, leurs questions de recherche et se sont partagés les tâches et le budget.
Le projet part du constat que les dîners familiaux constituent un rituel collectif majeur, véritable marqueur du patrimoine culturel français. Ils jouent de fait un rôle clé dans l’identité des Français. L’objectif du projet est d’analyser comment se transmettent les pratiques langagières en français et en Langue des Signes Française dans les repas familiaux au cours desquels les participants doivent coordonner leurs productions et leurs actions.
Nous souhaitons notamment pouvoir répondre aux questions suivantes :
– Comment les pratiques linguistiques et alimentaires sont-elles transmises aux enfants au cours de ces moments partagés et privilégiés de la vie quotidienne que sont ces dîners familiaux ?
– Comment sont-elles ensuite utilisées par les enfants pour construire du sens et, parallèlement, s’approprier, à long terme, les patrimoines langagiers, culturels et alimentaires de leurs parents ?
– Et comment les membres de la famille orchestrent-ils ensemble leurs paroles, leurs gestes, leurs signes, leurs regards et leurs actions ?
Il s’agit ensuite de réfléchir et de mettre en place un dispositif de recherche qui puisse permettre de répondre à ces questions.
La nature multimodale du langage nous a conduit à développer une méthode pour étudier comment divers systèmes sémiotiques tels que la parole, le signe, le geste, la posture, les expressions faciales et le regard mais aussi les actions et les manipulations d'objets, sont simultanément déployés, transmis et utilisés dans les activités situées combinées dans les dîners familiaux. Au cours des interactions situées multipartites (c’est-à-dire avec plusieurs participants) et multimodales en coordination avec d'autres activités corporelles, chaque mouvement, chaque partie du corps, chaque objet est potentiellement significatif. Ils sont déployés dans une multitude de variations avec plus ou moins d’expertise dans la coordination collective des corps, des activités et des objets.
Nous avons donc dû créer un dispositif filmique DinLang, un schéma de codage DinLang dans le logiciel ELAN, des requêtes spécifiques dans ELAN et Excel pour croiser les différentes dimensions du projet, et une méthode pour vérifier la validité de nos codages. Nous menons en parallèle des analyses détaillées sur une collection d’extraits vidéo sélectionnés pour illustrer nos résultats.
Le projet repose sur l’analyse de dîners familiaux que nous filmons. Or lorsque l’on s’apprête à recueillir des données, il faut également penser en amont au Plan de Management des Données (DMP) : comment vont-elles être recueillies, stockées, dans quelle mesure vont-elles être diffusées, partagées... Pour la collecte et la gestion des données, nous suivons les principes de données FAIR (Findable, Accessible, Interoperable and Reusable, Wilkinson et al., 2016). La communauté a élaboré un guide des bonnes pratiques (Baude et al. 2006) auquel les responsables du projet ont ajouté leurs propres recommandations pour les membres de leurs équipes. Il s’agit également de rédiger une lettre d’information aux participants et des formulaires de consentement éclairés des adultes et des enfants et dans notre cas prévoir une présentation en LSF pour les familles signeuses. Nous avons également déclaré nos recherches auprès d’un délégué à la protection des données (DPD) des institutions partenaires. Enfin nous avons soumis notre projet à un Comité d'Éthique de la Recherche qui a validé la procédure.
Ce projet bénéficie d’un financement de l’ANR pour une durée de cinq ans.
Il est important dans notre recherche de mener nos observations sur des données les plus écologiques, naturelles, possibles. C'est pourquoi nous sommes amenés à nous rendre dans le cadre familial au moment du dîner.
Pour pouvoir mener une recherche de qualité, nous avons besoin de filmer une vingtaine de familles (soit 20 dîners en français et 20 en LSF). Les familles qui nous accueillent chez elles le font deux fois, plus une dernière entrevue.
Qui sont-elles ?
Des familles comportant au moins 4 membres et dont au moins l’un des enfants a entre 3 ans et 10 ans.
Nous les trouvons soit grâce au bouche à oreille, soit grâce à la diffusion d’une vidéo humoristique et explicative en langue des signes. Ces familles font partie intégrante de la recherche scientifique. Sans elles, les membres du projet ne pourraient pas mener leur recherche.
Et si cette famille, c’était la vôtre ? Pour participer à l’aventure DinLang cliquer ici.
Pour que le dîner se déroule le plus naturellement possible tout en sauvegardant le plus d’informations, nous avons opté pour un dispositif filmique et sonore adapté à la situation et aux objectifs de recherche.
Afin de s’ajuster au mieux aux différentes configurations de cuisine, formes de table et répartitions des membres de la famille autour de cette table, l’enregistrement se fait grâce à deux caméras classiques disposées de part et d’autre de la table, à une caméra placée au centre de la table qui filme à 360° et un micro également en 360°.
Après la prise de rendez-vous, deux chercheurs viennent en amont du dîner pour placer le dispositif filmique, se retirent le temps du dîner puis désinstallent avant de partir.
Une fois les dîners enregistrés, il faut les préparer pour en faire une donnée de la recherche. Autrement dit, il s’agit de passer de vidéos brutes à de véritables corpus. Concrètement nous faisons une copie des cartes SD des caméras, puis compressons les données pour les mettre dans un format plus léger, le mp4. Les vidéos des différentes caméras sont recoupées pour être bien synchronisées. Nous associons ensuite à ces vidéos leurs métadonnées, c'est-à-dire les informations qui portent sur les données elles-mêmes : date de tournage, format des vidéos, types de caméras, identifiant du dîner, langue du dîner… Les familles restent évidemment anonymes. Nous leur attribuons un code pour les distinguer : FRA1 pour la première famille en français enregistrée, LSF1 pour celle en langue des signes, puis FRA2 et LSF2 pour les secondes et ainsi de suite. Dans le respect du Plan de Management des Données, les données seront dans un premier temps déposées sur un site de partage entre les différents membres du projet. C’est sur ces données que nous allons pouvoir mener les analyses. À la fin du projet, les données et leurs analyses seront déposées, avec l’accord des familles, sur la plateforme Ortolang pour un archivage pérenne et un partage à l’ensemble de la communauté scientifique.