Exemples d’études en cours

« Inter-languaging » et dîners dans les familles pratiquant la LSF ou le français

Les dîners familiaux offrent l’opportunité d’analyser les pratiques langagières et comportementales telles qu’elles se manifestent dans la « vraie vie » et en temps réel. Dans cette étude, nous analysons les actions, le regard et les gestes de deux familles, l’une utilisant la LSF, l’autre le français parlé. Nous nous concentrons sur la socialisation des enfants et la manière dont les activités conjointes associées à la conversation et au fait de manger, qui engagent les mêmes composantes corporelles, sont coordonnées et organisées. Les vidéos sont synchronisées et codées sur ELAN. Les actions, le regard et le langage de tous les participants (Linell, 2009) sont annotés. Le cadre de participation (Goffman, 1981) est aussi codé pour pouvoir comparer les participants selon leur modalité d’expression, leur âge et leur statut.

La façon dont les adultes entendants gèrent leur regard illustre leur contrôle du repas et de la conversation et aussi leur capacité, visuelle et vocale, à préserver la simultanéité des deux activités et la participation de tous. De leur côté, les adultes sourds parviennent, habilement et dans un flux continu, à alterner en douceur repas et conversation. Quant aux enfants, sourds et entendants, ils exposent comment ils développent leurs compétences pour gérer progressivement la multi-activité et les conversations multipartites en fonction de leur âge et l’utilisation d’un ou deux canaux dans leur « inter-action » et leur « inter-langage ».

Processus de focalisation multimodale pendant les dîners familiaux : une comparaison entre familles parlantes et familles signantes

Les locuteurs structurent leur discours selon que les informations transmises sont partagées ou nouvelles. La prosodie et le geste font alors partie des ressources sollicitées pour se concentrer sur de nouvelles informations. Cette focalisation, bien décrite dans les interactions dyadiques, est peu étudiée dans les conversations multipartites en situation. Les dîners familiaux sont donc une occasion privilégiée d’étudier ce phénomène. Le corpus DinLang nous permet ainsi de comparer les dîners familiaux en français et en LSF.

Notre hypothèse ? Les marqueurs prosodiques multimodaux (y compris gestuels) de focalisation sont articulés selon des schémas contrastifs et des parallèles existent entre les deux langues.

Suite à une première analyse, nous avons pu relever qu’en français, l’augmentation rapide de la hauteur du son et le renforcement de l’intensité (Rossi, 1999) étaient principalement utilisés pour marquer la focalisation sur la syllabe accentuée, accompagnée d’un allongement syllabique. D’autres marqueurs ont été repérés : des accélérations, des pauses après la syllabe accentuée et des syllabes accentuées hyper-articulées. Des marqueurs prosodiques équivalents (Blondel 2003 ; Wilbur 1999 pour l’ASL) ont été trouvés en LSF : contrastes dans l’amplitude du mouvement, accélération, scansion, répétition et utilisation du pointage manuel.
L’analyse des langues des signes peut apporter de précieux indices pour mieux appréhender la prosodie visuelle des langues parlées. Comparer la prosodie vocale et gestuelle permet d’aborder les langues parlées et signées comme des langues incarnées à part entière.

La matérialisation de l’école dans les dîners familiaux de la classe moyenne : Objets, discours, signes et gestes

Si les dîners sont une scène idéale pour parler de l’ici et maintenant – discours proximal -, ils le sont aussi pour narrer les événements de la journée, évoquer des souvenirs communs, se projeter ou argumenter – discours distal – (Dancygier, 2019). Comment les événements distaux et les sujets tournant autour de l’école sont-ils abordés à table par le biais d’objets, de discours et de gestes ? C’est la question à laquelle cette étude doit répondre.
Tous les sujets de discours dans huit dîners de personnes pratiquant le français, la longueur de chaque séquence et le caractère proximal ou distal du discours ont été codés à l’aide d’ELAN. Les caractéristiques linguistiques (types de mots/signes/gestes, durée du tour de parole, complexité syntaxique, types de gestes, parties du corps impliquées, regard et cadre de participation…) ont été comparées et nous nous sommes concentrés sur le discours sur l’école.
Comme prévu, dans les familles signeuses, la focalisation sur l’école est souvent initiée par les parents. Les événements distaux sont incarnés par des gestes, des actions et des postures dans de longues séquences, voire matérialisés quand les enfants apportent leurs objets scolaires. L’école peut aussi se matérialiser fortuitement dans l’ici et maintenant à travers des associations libres et détournées autour des activités de la table. Ainsi la vie scolaire est-elle intégrée dans la vie familiale par des parents se positionnant comme coéducateurs et des enfants dynamiquement socialisés à être des apprenti-énonciateurs multimodaux capables d’opérer une distance réflexive

Langue et gestualité dans les dîners familiaux bilingues

Dans les environnements bilingues, les enfants rencontrent des difficultés à se créer leur propre espace d’interaction bilingue. L’étude de l’acquisition bilingue chez l’enfant (De Houwer, 2009) aide le chercheur à clarifier l’impact d’un développement bilingue asymétrique sur la quantité et le rôle de la production de gestes dans le flux de communication. Il se pourrait que la communication multimodale et multilingue renforce la socialisation linguistique des enfants bilingues (Ochs & Schieffelin, 1984) dans leur communauté biculturelle.
L’analyse filmée de quatre familles bilingues – deux parents et deux enfants de 4 à 7 ans – a ainsi permis de montrer que les gestes jouaient un rôle important dans la gestion de la communication de ces enfants. Plus précisément, leurs gestes semblent leur ouvrir la voie à l’accès au sens dès qu’ils sont confrontés à des formes distinctes dans chaque langue. Ainsi leurs gestes servent-ils à compenser l’accès à des verbalisations plus complexes dans leur langue faible (Nicoladis, 2007) et aussi à aider leur interlocuteur adulte à comprendre ce qu’ils cherchent à exprimer dans leur propre langue faible. A cet égard, les enfants bilingues montrent une certaine habileté à recourir à la gestuelle et à convoquer les deux langues pour optimiser leurs interactions. Ils ont ainsi recours à des gestes partagés et à des pratiques multilingues pendant une période importante de leur développement linguistique.